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22.12.2021 La Plagne : le domaine skiable le plus fréquenté au monde fête ses 60 ans

Ce versant de Tarentaise, où les mineurs se tuaient à extraire le plomb argentifère, est devenu le domaine skiable le plus fréquenté au monde avec 57 000 lits, 2,5 millions de journées-skieurs et dix satellites. Alchimie rare dans l’histoire des sports d’hiver née de la volonté d’une poignée d’élus savoyards pour retenir les jeunes au pays. Il était une fois la station qui en avait sous le bonnet.


Un air de nouveau monde, une ambiance de conquête de l’Ouest. Ce Noël 1961, sur les hauteurs des communes d’Aime, Macôt, Bellentre et Longefoy, qui miserait un kopeck sur ce stade de neige émergeant d’une cuvette où boue et terrassements souillent le manteau blanc ? Il compte deux téléskis poussifs, deux hôtels, le magasin de location Serge ski qui a élu domicile dans l’entrepôt à parpaings. Et un snack dans une halle aux vaches. Les voitures s’enlisent dans les derniers kilomètres non bitumés d’une route à 21 lacets qui grimpe jusqu’à 1 970 m d’altitude.

 

La Plagne : 60 ans de ruée vers l'or blanc

Mais 200 mètres plus bas, le filon qui fait encore vivre la vallée s’épuise. Et les hommes avec. « L’hiver c’était le bout du monde », se souvient André Broche, 71 ans aujourd’hui. Ce fils de mineur a grandi là-haut, sauvé par les sports d’hiver. Jusqu’à devenir responsable de la piste olympique de bobsleigh, spécialité locale. « Il y avait déjà un téléphérique mais il servait à descendre le minerai ». Bientôt la Pennaroya, qui exploite cette mine de plomb argentifère, va fermer ses galeries. Et Rothschild, l’actionnaire, placera ses billes dans l’autre filon qui redonne espoir à tout un versant. Loin d’être une affaire de gros sous, la création de La Plagne est une histoire de survie. Le père d’André s’éteint à 63 ans de la silicose. D’autres sont frappés par le saturnisme. « Cette mine, un enfer, un cimetière », selon le docteur Borrione, maire d’Aime. Faute de pouvoir allonger l’espérance de vie des mineurs, l’ancien résistant a misé sur l’or blanc pour dessiner un avenir à leurs enfants.

 

Naissance d’une station intégrée

Car l’agriculture aussi décline. Quand le petit Dédé vit débarquer les hélicoptères dans les alpages, il comprit que le minerai tombé du ciel vaudrait tout l’or du monde. On est aux prémices du plan neige. Avec à la baguette un investisseur, Robert Legoux. Et à la manœuvre la société d’Aménagement de la Plagne (SAP), qui aujourd’hui gère encore les remontées mécaniques. Et sur la page blanche qu’offre ce vaste pan des Alpes, des hommes audacieux vont prendre le contre-pied de l’authenticité savoyarde pour faire jaillir une ville à la montagne. Pour les pistes on fit venir Émile Allais, le sorcier de la neige qui tracera au Bic le réseau idéal pour un ski familial. Dédé commencera dès 16 ans en tant que pisteur. Avant d’intégrer l’école de ski. On manque de moniteurs. Gloire de l’Himalaya, le guide Pierre Leroux débarque de Chamonix et Méribel pour composer son équipe de pulls rouges.

La Plagne va surtout imposer son style de station intégrée. Où l’urbanisme se veut fonctionnel, laissant la part belle au ski. L’immobilier sépare la grenouillère où convergent les skieurs et les parkings où l’on abandonne sa voiture pour la semaine. Densifié à l’extrême, le bâti rassemble les lieux de vie pour réduire au minimum les cheminements. On chausse à moins de sept minutes de son studio et on fait ses courses en chaussons. Architecte de son temps, skieur à ses heures, Michel Bezançon pose sa griffe, entre le linéaire façon le Corbusier de Plagne Centre et le paquebot d’Aime 2  000 - 850 logements sur 21 étages, pour 2,4 km de galeries ! - aujourd’hui classée au patrimoine du XXe siècle.

 

Polytechniciens copropriétaires

Car La Plagne, ce n’est pas une mais dix stations, reliées skis aux pieds par 130 pistes. Jusqu’à 23 heures, on passe d’une galerie marchande l’autre par un télémétro, tendu par l’expert en câbles Denis Creissels, ingénieur polytechnicien. À l’époque, cela va bien aux diplômés de l’« X », caste à laquelle appartient le promoteur et qui jette son dévolu sur ces appartements conçus pour la vie moderne.

Tout ne sera pas très réussi. Car au fil des ans, les pionniers verront leur héritage dévoyé. Plagne soleil, onzième et dernier quartier de la station, initié par Ribourel, fera bondir Bezançon. Loin de sa philosophie reposant sur un ensemble de satellites monoblocs.

Trop artificielle, La Plagne ? Raccordée au village de Champagny, joyaux du parc de la Vanoise, ses inconditionnels diront qu’elle est multifacettes. Tel le Vosgien Patrick Hazeaux qui en a dirigé pendant 18 ans l’office de Tourisme : « La perception visuelle peut paraître agressive mais cet urbanisme fait preuve de praticité encore aujourd’hui ». Photos à l’appui, il montre comment en 60 ans, on a préservé la fabuleuse forêt de pins cembro. « Tout s’est construit autour des arbres. » André Martzolf, l’historique chef des pistes y a inventé l’art de l’engazonnement.

 

Et Guy Lux a débarqué

La Plagne sera le décor d’un épisode des Chevaliers du ciel , avant-gardiste au rayon communication. Avec ses people - Sylvie Vartan -, ses événements, le grand prix des champions ou le festival du film d’aventure mais surtout un logo. Et quel logo ! Un simple bonnet rouge surmontant une paire de lunettes de soleil… Et dans l’imaginaire populaire, c’est devenue la station qui en a sous le bonnet. « Il a été dessiné sur un coin de table », observe Patrick Hazeaux. C’est qu’en 1966, La Plagne accueille Guy Lux et “Interneige”. Elle se cherche un emblème qui sera conçu par un graphiste de chez Havas. Ce logo se hissera jusque dans l’espace et la station Mir grâce au spationaute Jean-Pierre Haigneré, célèbre résident secondaire. « Il dit tout de l’environnement des vacances. Et sera la clé de voûte de la communication de La Plagne. Mais les artisans du succès restent les hommes. » Tel Eddy Blanchoz, le Mauriennais qui a commencé perchman pour finir PDG de la SAP. La championne de ski Ingrid Lafforgue, dont la carrière fut stoppée net, sera appelée en renfort pour vendre Plagne Bellecôte, où elle a conservé un magasin de sport.
60 ans après, la station a atteint des sommets et des limites : bientôt 60 000 lits, l’un des plus grands domaines relié aux Arcs, numéro 1 mondial des ventes de forfaits, avant crise. Mais face aux défis des temps nouveaux, ce gisement-là, non plus, n’est pas inépuisable.

 

Les glaciers rendus à la nature

En 1978, sous l’expertise des glaciologues du CNRS, la SAP aménageait les glaciers de Bellecôte et la Chiaupe. Et La Plagne de vanter dans ses brochures le « ski des 4 saisons », de novembre à août. Le domaine supérieur, accessible en 40  minutes par la plus longue télécabine au monde (6,4 km) sera équipé de deux télésièges et quatre téléskis culminant à 3 250 m. Mais en 2005, face à l’épreuve du mercure, le ski d’été c’est terminé. Et les téléskis sont démontés. En 40 ans, les glaciers se sont retirés de plus de 300 m, perdant plus de la moitié de leur épaisseur. Trésors condamnés d’ici 2060.


30 millions face au réchauffement

Jusqu’en 2016, le guide de la Grave Bruno Gardent a bien creusé une grotte touristique dans la Chiaupe. Mais face à l’évidence, la Compagnie des Alpes et sa filiale, la SAP, ont entamé une reconversion. L’été dernier ont débuté les travaux d’une nouvelle télécabine à gros débit (2 700 personnes/h) qui arrivera à 3 000 m, en crête, en amont de la combe du glacier de Bellecôte avec une vue plus dégagée sur le Mont-Blanc et la face nord de Bellecôte. L’ancien porteur et les deux télésièges sommitaux seront démontés. « Nous avons repensé le site en tenant compte des effets du climat et de la configuration glaciaire. Un dossier école en matière d’impact et d’insertion environnementale », explique Nicolas Provendie, patron de la SAP. De quoi conserver les plus belles et longues pistes l’hiver – sauf celles de la Chiaupe, devenue difficilement skiables – et privilégier randonnée et contemplation l’été. Un investissement de 30 millions d’euros qui devrait être bouclé pour 2024.